Et voilà un bel exemple des raccourcis que peuvent faire les médias dans le traitement des sujets qui les dépassent: l’affaire Voltalis contre EDF résumée un peu partout en une phrase: “EDF veut taxer les économies d’énergie”. La situation est beaucoup moins tranchée que ça, voyons pourquoi.
Quand un pic de consommation d’électricité intervient, il y a deux façons deux réagir au niveau du réseau. Soit augmenter la production en lâchant de l’eau dans les barrages ou en démarrant des centrales thermiques, soit essayer de réguler la consommation en demandant à certains utilisateurs de consommer un peu moins, les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, ce délestage permet d’absorber le pic. Ce dernier principe a été théorisé sous le nom d’”effacement diffus”. EDF l’a déjà plus ou moins mis en place dans certains foyers en fournissant une box qui module le tarif de l’électricité consommée en fonction de la demande nationale. Mais d’autres sociétés indépendantes des fournisseurs d’électricité commencent à se positionner aussi sur ce marché comme Voltalis.
Pratiquement comment ça marche? Voltalis installe chez les particuliers un boîtier qui permet de couper à distance certains appareils non essentiels du foyer (téléviseur, lave-linge, …) afin de diminuer la consommation d’électricité sur le réseau. Lors d’un pic de demande, Voltalis est donc en mesure de proposer au gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE, en charge d’assurer l’équilibre entre la production et la consommation) d’amortir le pic en délestant temporairement certains foyers plutôt que d’acheter des kWh à un fournisseur pour satisfaire la demande supplémentaire. Ces kWh économisés (virtuels!) sont semble-t-il vendus à RTE à peine moins cher qu’un kWh produit (réel), c’est la loi du marché qui s’applique. Les clients de Voltalis se voient reverser une partie de la somme versée en échange de leur effort. A priori, tout cela semble une bonne idée, ça va dans le sens des économies d’énergie et de l’écologie, donc rien à dire. Sauf que …
Le sujet est plus complexe qu’il n’y paraît du fait de la complexité du marché de l’électricité désormais constitué de plusieurs fournisseurs (EDF, Poweo, Direct énergie, Enercoop). Je vais essayer de le simplifier pour le rendre compréhensible par tous en en faisant un cas concret.
Pierre, Paul et Jacques sont 3 consommateurs d’électricité. Poweo est le fournisseur attitré d’électricité de Pierre, EDF est celui de Paul et de Jacques. Roger s’occupe d’ajuster en permanence l’équilibre entre la production et la consommation d’électricité sur le principe d’un fonctionnement où consommateurs et producteurs sont tous connectés sur le même réseau de distribution.
Au départ, seuls Pierre et Paul consomment chacun 1kWh. Pour répondre à cette demande, Poweo et EDF produisent logiquement chacune 1kWh. Mais une heure plus tard, Jacques rentre chez lui et veut lui aussi consommer son kWh. Il va y avoir déséquilibre, Roger est bien embêté. Deux solutions s’offrent à lui:
Solution 1
Il appelle EDF:
« Allo EDF, je vois Jacques arriver chez lui, je crois que c’est toi son fournisseur officiel, tu pourrais me produire 1kWh de plus tout de suite? »
« Ben oui, ça te coûtera le prix d’1kWh à savoir 100€.”
Solution 2
Il appelle Marcel, un très bon pote de Pierre:
« Allo Marcel, je vois que Pierre consomme 1 kWh en ce moment, toi qui le connais bien, tu pourrais pas lui demander d’arrêter sa télé et son vibromasseur un moment juste pour laisser Jacques consommer à son tour? Ca devrait pas durer longtemps, il doit aller à la piscine dans une heure. »
« Pas de souci, bon par contre, tu sais comment ça se passe, c’est pas gratuit ça, j’imagine que EDF te demanderait 100€ pour fournir ce kWh supplémentaire, alors moi je te fais ça pour 50€ prix d’ami à prendre ou à laisser »
Que feriez-vous à la place de Roger? Bingo, je prends la deuxième solution because c’est la moins chère (d’ailleurs, il n’a pas le choix, c’est le principe de préséance économique). Bien mais parlons finances un peu.
Au début de l’histoire c’est assez simple:
- Pierre paye 100€ (=1kWh) à son fournisseur Poweo
- Paul paye 100€ (=1kWh) à son fournisseur EDF
- Jacques ne doit rien payer à son fournisseur EDF car il ne consomme pas.
Une heure plus tard, ça se complique:
- Pierre ne doit rien payer à son fournisseur Poweo car il ne consomme pas. Marcel va même lui donner 5€ pour le remercier de l’effort consenti.
- Paul doit payer 100€(=1kWh) à son fournisseur EDF
- Jacques doit payer 100€ (=1kWh) à EDF puisque c’est son fournisseur officiel bien que ce ne soit pas lui qui ait produit son électricité.
- Roger a déboursé 50€ pour équilibrer le réseau qu’il va refacturer au fournisseur de Jacques qui est à l’origine du besoin, à savoir EDF.
Cependant:
- EDF fait la fête car elle a été rémunérée pour 2kWh en n’en produisant qu’un seul.
- Poweo fait la tronche car elle a produit 2kWh mais n’a été rémunérée que pour 1.
- Marcel se frotte les mains car il a gagné 50€ rien qu’en passant un coup de fil à Pierre!
Voilà la situation actuelle qui n’est évidemment pas satisfaisante puisque Poweo est lésée. Il faut donc trouver une solution:
- Marcel propose que EDF reverse ce qu’il doit logiquement à Poweo à savoir le prix du kWh fourni à Jacques. EDF va donc payer 150€ pour assurer l’équilibre du réseau, somme qui sera à coup sûr répercutée sur les prochaines factures de Paul et Jacques. C’est la position de Voltalis.
- Roger propose au contraire que Marcel annonce dès le départ la couleur dans son offre et lui facture 150€ le coup de fil permettant d’équilibrer le réseau plutôt que 50€ seulement puisque c’est finalement ce qu’il en coutera à EDF et reverse à Poweo les 100€ qui lui sont dus. Dans ce cas cependant, Roger ne fera pas le même choix. Entre produire 1kWh supplémentaire à 100€ et économiser 1kWh à 150€, au nom de la préséance économique, il choisira le second. C’est la position des fournisseurs d’électricité.
Aucune des ces deux solutions n’est vraiment satisfaisante, l’une avantage outrageusement l’effacement diffus, l’autre le condamne. Il a donc été demandé à la commission de régulation de l’énergie (CRE) d’émettre un avis dont voici les principales conclusions:
Comme précisé en annexe à la présente délibération, la loi du 10 février 2000 impose, dans le cadre du mécanisme d’ajustement, que l’opérateur d’effacements diffus (Marcel) rémunère les fournisseurs dont les clients se sont effacés pour l’énergie injectée par ces fournisseurs (Poweo) et valorisée par l’opérateur d’effacements diffus.
La CRE demande aux acteurs de poursuivre leurs discussions sur le niveau et les modalités de cette rémunération ainsi que sur les modalités d’intégration des effacements diffus dans le mécanisme d’ajustement. La CRE veillera à ce que ces modalités n’entravent pas indûment le développement des effacements diffus.
…
En outre, la CRE souhaite élargir le champ de développement des effacements diffus. A cet effet, elle invite RTE
– à définir en concertation avec les acteurs concernés les modalités de la contractualisation par RTE d’une capacité d’effacement de consommateurs raccordés aux réseaux publics de distribution, capacité qui devra être rémunérée à son juste prix. Sur la base des résultats de l’expérimentation, ces travaux devront permettre une contractualisation avant mi-2010 ;
– à étudier d’autres dispositifs permettant la valorisation des effacements diffus en dehors du mécanisme d’ajustement.
Ces travaux n’excluent pas la possibilité de mettre en place, par ailleurs, un dispositif public de soutien en faveur des effacements diffus au titre de leurs externalités positives.
En résumé, la commission cherche à encourager et pérenniser le dispositif d’effacement diffus mais demande à ce que ce soit l’opérateur d’effacement diffus qui s’occupe de faire payer ou de rémunérer les fournisseurs en fonction de ce qu’ils ont réellement produit et touché de leurs clients (en application de la loi). Je pense que jusqu’à présent EDF n’avait pas trop prêté attention au sujet car les quantités d’énergie en jeu étaient faibles et les opérateurs alternatifs encore peu développés. Mais la donne commençant à changer, ils cherchent à régulariser la situation pour ne pas se retrouver lésés par la mise en place du mécanisme d’effacement diffus.
Par ailleurs, la commission propose que l’opérateur d’effacement diffus soit rémunéré pour ce service sur la base d’un forfait annuel plutôt que sur la base d’une mise en concurrence par rapport au coût de production de l’électricité. Là encore, la recommandation me semble sage. Livrer l’écologie aux lois du marché n’est pas une bonne chose, on l’a constaté avec l’échec du marché des droits d’émissions. De plus on sent bien qu’en l’état actuel des choses, Voltalis profite abusivement d’une astuce financière pour se remplir les poches à bon compte. J’ajouterai un point, c’est que les kWh qui ne sont pas consommés au moment du pic ne sont pas réellement économisés, ils seront très probablement consommé dès que la consigne de Voltalis sera levée. L’effacement diffus décale la demande dans le temps plus qu’il ne la diminue durablement. Ca ne remet pas en cause son intérêt mais ça en réduit tout de même sa portée.
Voilà billet un peu long mais le sujet est passionnant en tout cas.
PS: je n’ai pas d’actions, ni souscrit à l’emprunt d’EDF, j’essaie juste d’analyser la situation avec un peu d’objectivité
Sources: